Luke
Un poids lui oppressait la poitrine. Dehors, à travers la baie vitrée, les étoiles étaient visibles. Avaient-ils de nouveau quitté l’hyperespace ? Il se retourna vers la couchette de Raphy. La silhouette de ce dernier était plongée dans l’ombre, immobile. Il s’approcha et posa une main sur son épaule. Lentement, Raphy se tourna vers lui. La forme de son visage était étrange, très allongée. Il sentit une main le saisir et la face difforme de Raphy se rapprocha de lui, prêt à l’entraîner dans une étreinte mortelle. Il ne pouvait pas bouger, pas s’enfuir. Et soudain …
Luke se réveilla en sursaut, dégoulinant de sueur, le cœur battant atrocement vite. Pendant un instant, il se crut de retour quelques jours en arrière, avec les Daeko toujours en vie. Mais il était seul et tout était calme. L’écran devant lui indiquait une sortie de l’hyperespace à proximité de Mars dans un peu moins d’une heure. Calmement, il essaya de chasser son cauchemar. Il allait enfin rentrer ! Ces derniers jours avaient été une épreuve pour lui. La vue des corps mutilés de ses coéquipiers l’avait rendue malade. Il n’avait jamais autant vomi et aussi peu dormi de sa vie. Avant l’exécution des Daeko par Orthur, une pression constante l’avait accompagnée. À chaque instant, ils auraient pu être la prochaine victime. Mais non … Il était encore en vie et le terrible voyage touchait à sa fin.
Malgré tout, à mesure qu’il émergeait totalement du sommeil, un étrange sentiment s’empara soudain de lui. Où se trouvaient Orthur et Raphy ? Il avait dormi longtemps, ils auraient déjà dû revenir. Ce n’était pas normal. La peur le saisit soudain. Et s’ils s’étaient trompés ? Et si tous les Daeko n’étaient pas morts ? En un instant, son rythme cardiaque accéléra de nouveau. Son rêve était peut-être une prémonition ? Et si Raphy était lui aussi infecté ? Ça n’avait aucun sens. Il tenta de faire appel à la logique, sans succès. L’image du visage déformé de Raphy lui revenait en tête, encore et encore. Que faire ?
Il jeta de nouveau un œil sur l’écran. Il restait encore une bonne demi-heure avant l’arrivée vers Mars, où, Daeko ou pas, il serait sauvé. Il se leva d’un bond et se rendit devant la porte principale du poste de pilotage. Malgré les tremblements qui lui parcouraient les mains, il démonta rapidement le panneau de commande de la porte. À l’aide de son cutter laser, il sectionna une partie de l’électronique. La porte était à présent scellée. Il répéta l’opération sur les deux autres portes. Il était à présent enfermé dans le poste de pilotage et, quoi qu’il arrive, il se sentait un peu plus en sécurité.
Luke s’assit dans le fauteuil de pilote. Et attendit. Le regard fixé sur le compteur.
Plus que 23 minutes.
Il fallait tenir. Il était seul. Au milieu d’un vide total. Dans le poste de pilotage d’un cargo. 7 membres de l’équipage étaient morts. 2 autres portés disparus. Il était le dernier.
Plus que 20 minutes.
Le tableau de bord était encore teinté de légères traces rougeâtres. Le sang de Zéo s’était révélé impossible à totalement nettoyer. Il ne fallait pas penser à Zéo. Il était mort ici même, à sa place. Il avait eu la gorge tranchée. Il ne s’y attendait pas. Un horrible frisson parcouru le dos de Luke. Il se retourna vivement et scruta les ténèbres derrière lui. Rien. Lentement, très lentement, il reprit sa position initiale.
Plus que 18 minutes.
Le temps s’écoulait trop lentement. Il ne pouvait pas s’être passé seulement deux minutes depuis qu’il avait posé les yeux pour la dernière fois sur le compte à rebours.
Plus que 15 minutes.
Pour focaliser son attention sur autre chose, Luke scruta le vide au dehors. Il tenta d’apercevoir quelque chose, mais, il le savait parfaitement, ce parallèle était totalement vide. Comme toujours.
Plus que 12 minutes.
Un silence de mort régnait dans la pièce. À l’exception de sa respiration haletante et irrégulière. Il était le pilote d’un vaisseau tombeau.
Plus que 9 minutes.
Il n’y avait rien d’autre à faire qu’attendre. Penser était inutile. Il fallait juste attendre.
Plus que 7 minutes.
Il crut entendre un bruit. Son cœur fit un bond terrible dans sa poitrine. Cette fois, il s’accroupit derrière le fauteuil. Aucune des portes ne semblait bouger. Tout était immobile. Il était stupide. Ce bruit devait être le fruit de son imagination. Il resta malgré tout un long moment à observer les portes et doucement, il s’assit de nouveau dans le fauteuil.
Plus que 2 minutes.
Il allait y arriver. Le cauchemar touchait à sa fin. Il ne quittait plus des yeux le compteur, s’accrochant à chaque seconde qui passait.
3 … 2 … 1.
Un instant plus tard, le système déclencha la sortie de l’hyperespace. Devant lui, apparut instantanément Mars, sa terre natale, et toutes les étoiles familières du système solaire. Il était sauvé ! D’un geste rapide, il alluma l’ensemble des communications à courte portée. Il devait annoncer sa situation avant d’être autorisé à s’approcher de Mars. Comme la procédure le demandait, il envoya frénétiquement l’immatriculation du cargo pour faire un premier contact. Rien ne se passa. Les communications semblaient totalement bloquées. Il jeta un œil derrière lui, en direction des portes, toujours rien. Il fallait probablement s’approcher plus des antennes de réception. Il activa le pilotage manuel et dirigea lentement le cargo vers la ceinture spatiale qui entourait Mars.
Mais rien ne se passa non plus … Le cargo était totalement stoppé. Aucune commande ne répondait. Pourquoi ? Il n’y avait pourtant eu aucun sabotage des réacteurs ? Soudain, un voyant lumineux s’alluma sur le tableau de bord. L’un des sas de secours venait d’être ouvert. De plus en plus confus, Luke ne savait pas comment réagir. Venait-on le sauver ? Qui d’autre que des humains pouvaient ouvrir le sas si proche de Mars ?
Il se précipita vers la porte principale. Il avait besoin de quelques minutes pour la réparer. Un bruit sourd lui parvint du couloir. Il recula. Un coup résonna de l’autre côté. Il recula davantage. Sans prévenir, la porte vola en éclat. Aussitôt, une demi-douzaine de soldats Martiens se précipitèrent dans la pièce. Luke reconnu leur combinaison écarlate. Un soldat leva immédiatement son arme. Luke s’écria :
– Attendez ! Qu’est-ce que vous fai…
Une douleur atroce se répandit dans sa poitrine. Puis, un instant plus tard, dans sa tête. Sa vision se coupa. Il tomba sur le sol. Mort.
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