Le succès

Un café noir fumant à la main, Jérémy observait la ville qui s’éveillait. Son reflet dans la grande baie vitrée lui renvoya l’image d’un homme grand et beau, à la coiffure et aux vêtements luxueux. En un mot, sa propre réflexion n’exprimait ni plus ni moins que le succès. 

Son attention fut détournée par un faible bruissement provenant du gigantesque lit. Les deux modèles qui avaient partagé sa nuit se couvraient le corps avec de fines robes de chambre en soie. Ce spectacle lui provoqua un léger picotement au niveau de l’entre-jambe. Ces prostituées coûtaient chacune 2000 dollars la nuit, un juste prix pour ce niveau de qualité. Cependant, aussi excitantes qu’elles soient, ce n’était pas le moment de remettre le couvert. Une superbe journée l’attendait. Et ce n’étaient pas les filles qui manquaient dans sa wishlist. Il pourrait en commander de nouvelles plus tard.

Jérémy quitta donc la chambre sans un mot pour prendre l’ascenseur. Il n’avait que quelques étages à monter pour rejoindre le sommet de l’immeuble. Installé sur le toit terrasse avec une vue dégagée, il se fit servir un petit déjeuner sain, composé d’œufs, de salade et de fruits. On lui déposa un journal, qu’il lut distraitement. Quel était l’intérêt de lire ces conneries, racontées par des gens moins riches que lui, suant chaque jour au travail ? Il posa le journal et jeta un œil à sa montre incrustée de diamants. L’heure tournait et il avait un vol à prendre.  

Le trajet jusqu’à l’aéroport fut déplaisant. Malgré les vitres teintées de la limousine, il ne put s’empêcher de juger les gens normaux. Comment pouvaient-ils vivre ainsi ? Pourquoi ne faisaient-ils pas comme lui ? Le succès était tellement accessible de nos jours … Et puis Jérémy se rappela brusquement que tous ces gens n’avaient pas tellement le choix. Ils étaient programmés pour vivre comme cela. Evidemment … 

Son jet privé l’attendait sur le tarmac, dans la partie VIP de l’aéroport. Malik, son pilote habituel, le salua d’un signe de tête alors qu’il montait dans l’appareil. Jérémy lui rendit son salut et s’installa dans l’un des spacieux sièges en cuir. L’avion ne tarda pas à décoller. Il aimait voler, surtout quand ça se passait dans ce confort. Cette vision de luxe raviva chez lui le souvenir de ses premiers vols en classe économique. C’était dans une autre vie, certes, mais ce n’était pas si loin en arrière. 

Le vol dura une partie de la matinée. Sitôt atterri, Jérémy embarqua de nouveau dans une limousine, qui le conduisit à son hôtel. Ce dernier, placé dans les hauteurs, offrait une vue parfaitement dégagée sur l’océan. C’était le spot idéal pour observer les levés et couchés de soleil sur l’eau. Il déjeuna à l’hôtel puis profita de l’après-midi pour siroter des verres sur la terrasse avec d’autres milliardaires. Qu’est-ce que c’était bon d’être entouré de personnes qui le comprennaient …

Le soir arriva. Jérémy, installé au premier rang, assista à la première du nouveau film d’un grand réalisateur américain. L’actrice principale lui tapa dans l’œil tout au long de la diffusion. Il avait toujours eu un faible pour les actrices d’Hollywood. À la fin de la séance, après un tonnerre d’applaudissements, il demanda à la voir. On le conduisit dans les coulisses du cinéma et la jeune femme le reçu, intriquée. Jérémy lui proposa de prendre un verre et elle accepta. Finalement, ils finirent par monter dans sa suite à l’hôtel. La soirée se termina par une partie de jambes en l’air déchaînée. Quelle performance ! Elle était aussi douée à l’écran qu’au lit ! Comblé, Jérémy contempla la douce silhouette de sa partenaire avant de fermer les yeux pour s’endormir. Une fois de plus, la journée avait été splendide ! Il avait hâte de voir ce que demain allait lui réserver. 

Jérémy ouvrit les yeux, ses vrais yeux cette fois. D’un geste mécanique, il débrancha le câble connecté à l’arrière de son crâne et se redressa. Une faible lumière blafarde, produite par les néons du plafond, éclairait la petite pièce. Il y avait le lit, sur lequel il se trouvait, un bureau avec un ordinateur et une petite fenêtre qui donnait sur un mur gris. Jérémy se leva lourdement et se traîna jusqu’à son bureau. La chaise grinça dangereusement lorsqu’il s’assit dessus et alluma son ordinateur. En quelques clics, il ouvrit son application de travail et des centaines de lignes de code s’affichèrent à l’écran. Son job était simple : chaque jour, sans exception, il passait exactement deux heures à débugger des lignes de code interminables. À la fin des deux heures, une autre personne prenait le relais. Jérémy était payé $30 par jour pour ce travail et cela suffisait amplement à ses besoins mensuels : $200 de nourritures, arrivant directement chez lui sous la forme de barre d’énergie condensées, $100 d’énergie, comprenant l’eau et l’électricité et $400 pour son abonnement à LifeUniverse, incluant le matériel de réalité immersive, l’accès à tous les modes de vies possibles et le remboursement de son emprunt pour l’opération d’implants dans le cerveaux. 

Jérémy repéra un problème sur une ligne de code et la corrigea en quelques instants. Il tendit le bras et attrapa une barre de nourriture qu’il fourra dans sa bouche. Ça n’avait pas de goût, mais ce n’était pas important. Sa vraie vie n’était pas ici, elle était dans le LifeUniverse. Il avait vraiment tout réussi ! Avant, pour devenir riche, populaire ou avoir du succès avec les femmes, il fallait faire tellement d’efforts et les résultats étaient incertains. Rares étaient ceux qui parvenaient à leurs objectifs. Aujourd’hui, tout était différent. Il suffisait de payer $400 par mois pour avoir accès à la vie que l’on voulait. Et il n’y avait aucune limitation. On pouvait tout changer du jour au lendemain, sans aucune contrainte. La seule condition était de réussir à gagner suffisamment d’argent pour “vivre” dans le monde physique et payer l’abonnement. Pour $400 par mois, on pouvait réussir sa vie. Jérémy plaignait tellement les gens qui avaient vécu sans cette technologie. Ça avait dû être tellement difficile pour eux …

Les deux heures de travail passèrent en un éclair. Jérémy se replaça ensuite sur son lit et brancha le câble à l’arrière de sa tête. Une nouvelle journée dans sa vraie vie allait commencer.

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