Métro

Ce matin-là, l’aventure m’appelait. Et je répondis à son appel. J’adorais faire des randonnées près de chez moi et, cette fois-ci, je décidais de pousser le chemin plus loin que d’habitude. Alors que je franchissais le seuil de mon habitation, je calculais mentalement la distance que j’allais parcourir. Il allait me falloir marcher 60 kilomètres pour atteindre la ville suivante. Je pourrais rentrer en bus le lendemain. J’avais déjà fait des parcours similaires, bien qu’un peu moins long. Le soleil matinal réchauffait doucement mon visage alors que l’air autour de moi restait parfaitement frais. Le temps idéal pour marcher.

Au départ, il me fallut presque une heure pour quitter la ville et commencer à arpenter une zone moins urbaine. Les immeubles et maisons hautes cédèrent alors place aux fermes et pavillons à grands terrains. Je voyais de plus en plus fréquemment des animaux, surtout des chevaux et des bovins. Une légère brise se leva au moment où j’atteignais la limite de l’agglomération. J’avais devant moi une vaste plaine composée uniquement de champs à perte de vue. Il y avait peu de relief et, si j’avais pu prendre un peu de hauteur, j’aurais pratiquement pu observer tout le déroulé de ma marche. 

Je m’engageais donc sur cette immensité, sous un ciel bleu glacé et parcouru de quelques infimes nuages. Le vent n’était pas désagréable et il glissait autour de moi sans m’agresser. Je marchais ainsi à travers la campagne des heures durant. À midi, je fis une pause vers une vieille voie ferrée désaffectée. Assis sur un banc usé, à manger mon maigre repas, je contemplais l’espace qui s’ouvrait devant et derrière moi. Je ne pouvais plus voir mon point de départ à présent. J’avais l’impression d’être seul au monde, pas perdu, mais solitaire au centre de cette vaste étendue. 

Je me remis vite en route, car la distance qu’il me restait à parcourir était importante. J’avais l’intention de gagner la ville voisine avant que le soleil ne se couche. D’après mes calculs cela ne posait aucun problème. J’étais parti suffisamment tôt pour avoir une bonne marge en cas d’imprévu. Pourtant, à mesure que j’avançais et que défilaient les kilomètres, j’eus l’étrange sentiment de faire du sur-place. C’était comme si le paysage restait le même, ou presque, à chaque pas. Même le vent, auparavant si agréable, semblait vouloir me freiner. Bientôt, le soleil commença à descendre jusqu’à toucher l’horizon. Je pressais le pas, sachant que je devais logiquement être très proche de ma destination. Une petite colline me bloquait la vue et j’étais certain que la ville se trouvait derrière. La pente n’était pas difficile à monter mais je sentis que mes forces faiblissaient. Un peu de repos serait le bienvenu. 

Arrivé en haut de la colline, je restais perplexe. Devant moi, s’étalaient quelques cabanes délabrées et une sorte de silo à grain sur pilotis. Des barrières de grillage tenant à peine debout faisaient le tour de l’ensemble. Quelque chose n’allait pas, ce n’était la ville indiquée sur ma carte. Je m’approchais prudemment de cet étrange campement. Rien ne bougeait et l’endroit semblait totalement désert. Il me fallut peu de temps pour trouver la cabane en meilleur état et jeter un œil à l’intérieur. Elle était vide et sans fenêtre. Un coup d’œil dehors m’alerta que le jour était fini et le soleil pratiquement couché. Je n’avais pas le choix, j’allais devoir passer la nuit ici.

Je déposais mon sac à dos dans un coin de la cabane et mangeais ce qui me restait de provision. J’avais pris la décision de rebrousser chemin dès le lendemain. J’avais peut-être fait une erreur de direction mais je me sentais tout à fait capable de faire le chemin inverse. Je laissais la porte de la cabane ouverte et je m’installais à l’entrée pour profiter du spectacle de l’apparition des étoiles. Ici, pas de pollution lumineuse et, une à une, s’allumèrent ces petits points lumineux dans le ciel. Puis la Lune arriva et chamboula tout. Je ne l’avais jamais vue aussi imposante. Sa forme massive et ronde était d’un rouge profond. Rapidement, le décor autour de la cabane, à l’instant plongé dans l’obscurité, se teinta d’une lueur vive et rougeâtre. Une vive appréhension me prit au ventre. Je reculais à toute vitesse au fond de la cabane. La lumière ocre se propageait rapidement à travers l’encadrement de la porte restée ouverte. 

Je perçus alors un mouvement au dehors. Une ombre de dessina. Un bruit strident retentit dans mes oreilles et une silhouette humanoïde apparue à l’entrée de la cabane. Malgré ma terreur, je notais qu’elle était petite et sombre. Impossible d’en décrire plus. L’instant d’après, une puissante lumière jaillit du coin opposé de la cabane et, à cet endroit, la poussière présente sur le sol disparue, laissant place à une lourde trappe entre-ouverte. La créature avait disparu, certainement entraînée par la lumière. Malgré mon cœur battant à toute vitesse sous l’effet de la surprise, je restais mystérieusement calme. À part un terrible coup de stress, il ne m’était encore rien arrivé. Je jetais un œil dehors et constatais que la nuit avait retrouvée sa teinte habituelle : noire et faiblement éclairée par la douce lumière de la Lune. J’aurai pu en rester là. Mais la faible lueur en provenance de la trappe m’intriguait au plus haut point. Que pouvait-il y avoir là dessous ?

Je m’approchais doucement et tirait l’anneau pour soulever le panneau de métal. Un trou béant se dévoila devant moi, pratiquement insondable. Tout au fond, à ce qui semblait être des kilomètres, je distinguais un très faible point lumineux, comme une étoile dans le ciel. Je remarquais alors une échelle de fer, accrochée au bord de l’abîme. Laissant mes affaires dans la cabane, je commençais ma lente descente. À chaque pas, je tatonnais pour trouver le prochain barreau de l’échelle. Heureusement, ces derniers étaient réguliers et aucune mauvaise surprise ne se présenta à moi. Après ce qui me sembla être des heures, je me retrouvai entre deux mondes. En-dessous de moi, je distinguais encore le point lumineux et, au-dessous de moi, l’ouverture de la trappe s’était elle aussi réduite à une faible étoile. J’eus l’impression d’être suspendu au centre de l’univers, avec un espace à chaque extrémité. La fatigue m’accablait car, même si je l’avais presque oublié, j’avais marché toute la journée à un rythme soutenu. Plus je descendais et plus la descente me semblait interminable. Et puis, finalement, l’étoile du bas, comme j’avais commencé à la nommer, commença à s’élargir. Il me fallut encore une longue durée, peut-être une heure, pour atteindre ce qui me parut être le fond. 

Hors l’haleine, je m’écroulais sur le sol et m’assis contre la paroi rocheuse. Je me trouvais dans une sorte de tunnel. Au-dessus de moi, brillait toujours une légère lumière, visible par le puit que je venais d’emprunter. Le passage dans lequel je venais d’arriver était vide et un faible courant d’air le parcourait. Une odeur désagréable, sans que je puisse la décrire, emplit mes narines. Je restais un moment ainsi, me demandant surtout comment j’allais pouvoir remonter et rentrer chez moi. C’était techniquement possible, mais en avais-je la force ? Un léger bruissement me tira de mes pensées. Sur ma droite, trois silhouettes sombres approchaient, toutes pratiquement identiques à celle que j’avais vu en-haut. Mon cœur se serra d’appréhension, mais, à ma grande surprise, elles passèrent devant moi sans m’accorder le moindre regard. C’était comme si je n’existais pas ou, pire, comme si j’étais une chose déplaisante et pas digne d’intérêt. J’avais besoin de comprendre alors je me mis de nouveau debout et j’avançais vers la gauche, suivant les ombres. 

Rapidement, le passage déboucha sur un autre tunnel, bien plus large. Une foule de silhouettes sombres se trouvait là, silencieuse et attentive. Elles attendaient quelque chose, cela paraissait évident. Soudain, un bruit assourdissant retentit et une sorte de long véhicule lumineux jaillit de la gauche et se stoppa devant la foule. Il y eut pendant quelques instants une intense agitation, certaines ombres montant dans le transport alors que les autres en descendaient. Le véhicule reparti en trombe et le silence revint aussi rapidement qu’il avait disparu. Je m’avançais parmi les silhouettes mais, une nouvelle fois, personne ne m’accorda le moindre regard. J’aurais pu en toucher une, pour attirer son attention, mais je n’osais pas. Je décidais alors de suivre l’une des ombres et de monter dans le transport avec elle. 

À peine mon pied posé dans la rame, j’eus l’étrange impression que le temps s’accélérait, comme si, étant lecteur, j’avais tourné brusquement les pages du livre que j’avais sous les yeux. Il ne me fallut que quelques instants pour suivre le quotidien de l’ombre que j’avais choisie. Elle prenait le transport, s’arrêtait quelque part pour faire je ne savais quoi, reprenait le transport et rentrait dans ce qui semblait être chez elle, un trou dans une galerie, où elle passait un moment inactive, dormant sûrement. Et ainsi de suite, sans relâche. Et le temps s’accélérait toujours. Je visualisais la même routine encore et encore à une vitesse fulgurante. Le dégoût et la crainte que j’éprouvais au départ pour les ombres se transforma rapidement en de la pitié. Ces êtres étaient prisonniers sous terre et condamnés à “vivre” selon des règles strictes. Alors que l’équivalent de plusieurs années venaient de passer devant moi, je ne vis pas une ombre commettre le moindre écart dans son quotidien.

Plongé dans ces réflexions, j’en oubliais pendant un moment mon propre corps. Je me rendis compte trop tard que, en un battement de cils, ma propre vie venait de s’écouler aussi. Cette accélération du temps avait aussi prise sur moi ! Je ressentais une douleur croissante dans mon être et je sus que, bientôt, je ne serais plus de ce monde. Comment avais-je pu me mettre dans une situation aussi terrible ? Pourquoi avais-je à ce point ressenti l’appel de l’aventure ? Ou alors était-ce justement la fin de toute aventure ? Une impasse ? L’instant d’après, mon esprit se décomposa et je ressentis que je n’étais plus. 

Je me redressais, mon cœur tambourinant contre ma poitrine. Mes draps glissèrent et une faible lumière filtrait à travers mes volets. C’était le matin. J’avais rêvé. Et ce rêve était terrifiant. Déjà, les détails m’échappaient. Je me précipitais à mon bureau pour consigner le présent récit le plus fidèlement possible. Je finirais par ceci : la vie est-elle réellement une impasse ou il y a-t-il d’autres chemins ?

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