Luizette

Comme d’habitude, c’était à Luizette de sauver la situation. Les négociations avaient tourné court hier et les vendeurs de raritarium étaient remontés. Il allait falloir se montrer plus subtil aujourd’hui et Luizette avait réussi à convaincre Jadila de lui laisser mener l’entretien. Cette dernière, plus intelligente que ne l’aurait cru Luizette, avait reconnue son erreur de la veille et savait qu’il fallait rattraper le coup. 

Luizette avait pratiquement grandi dans le commerce de raritarium, cette ressource précieuse et nécessaire à la production de carburant peu coûteux pour les petits appareils spatiaux. Elle savait parfaitement comment aborder les commerciaux humains de Aeko II pour en tirer les meilleurs prix. C’était d’ailleurs pour cela qu’Himalaya, la première société de transport intergalactique, faisait régulièrement appel à elle pour ce type de mission. 

Le raritarium était plutôt rare à proximité de Mars et des autres systèmes habités par l’humanité. Plus il fallait aller loin pour le chercher et moins cette ressource devenait intéressante financièrement. Lorsque Luizette était encore une enfant, ses parents avaient démarré une exploitation de raritarium sur la ceinture d’astéroïdes de Narjivo VI. C’était alors l’exploitation la plus proche de Mars, à environ 450 années lumières.

Quelques années plus tard, l’Homme avait découvert le système d’Aeko et vite compris que sa seconde planète, Aeko II, disposait d’un immense gisement de raritarium, prêt à être exploité. Aeko étant plus proche de Mars, à environ 200 années lumières, le commerce de raritarium s’était rapidement développé. Luizette avait donc appris à jongler entre les deux sites, pour son plus grand bénéfice financier. 

Jadila ouvrit la porte de la salle de négociation et entra dans la pièce. Luizette la suivit d’un pas vif. Les deux femmes s’installèrent à l’extrémité de la longue table, sans échanger un mot. Même si elles pouvaient mutuellement s’épauler pour signer l’achat de raritarium et rentrer rapidement sur Mars, Luizette n’appréciait pas tellement Jadila. Et elle sentait bien que c’était réciproque. C’était la première fois que Jadila faisait ce type de voyage si loin de chez elle. Luizette avait du mal à supporter ce genre de personne, qui pense toujours tout savoir sans jamais avoir parcouru l’immensité de l’espace …

La porte s’ouvrit de nouveau et la délégation de vendeurs, appartenant à la FERA, la fédération d’exploitation du rariatarium de d’Aeko, entra. Elle était composée de 5 hommes, à priori tous originaires du système de Narjivo. Ils s’assirent calmement de l’autre côté de la table. Sans un mot, ils fixèrent Jadila, qui se tourna immédiatement vers Luizette. 

C’était le moment de démarrer les négociations et Luizette avait une stratégie toute prête. La veille, Jadila avait embrouillé les vendeurs avec des calculs compliqués de rentabilité et des chiffres sortis de nul part. Cette technique ne pouvait pas fonctionner avec les Narjivosses. Ils étaient beaucoup trop fiers et, dès qu’une idée ou un concept dépassait leur compréhension, ils se braquaient et refusaient toute communication.

Malgré l’accueil glaciale, Luizette se lança :

– Bonjour et merci d’être venus à nouveau discuter avec nous. Je pense que nous sommes partis d’un mauvais pied hier et je m’en excuse. 

Elle marqua une pause. 

– Si je puis me permettre, à quoi ressemble votre situation actuelle vis-à-vis du marché intergalactique de raritarium ?

Le négociant assis au centre se tourna vers elle et lança sèchement :

– Pratiquement inexistant, c’est le mot. 

Il n’en dit pas plus. Luizette ne répondit pas et laissa planer un léger silence. Il était critique de se taire et d’installer un petit malaise. Comme elle s’y attendait, le négociant, presque malgré lui, poursuivit :

– Nous extrayons beaucoup de raritarium ici mais la vente reste difficile. Compliqué pour nous d’avoir directement accès au marché intergalactique. Tout le transit s’effectue par Diraeko et il se passe moins de choses ici. On aimerait faire du commerce directement avec Mars mais c’est compliqué. Notre expertise est le minage et l’exploitation du raritarium.

Luizette savait bien que tout le commerce de raritarium qui quittait la planète passait par sa capitale, Diraeko. Dans les villes secondaires comme Telenium, la plupart du trafic se faisait vers Diraeko et pas vers l’espace.

– Comment s’organisent vos ventes actuellement ? Vendez-vous directement à des intermédiaires de Diraeko ?

– C’est exact. 95% de nos ventes sont faites à des intermédiaires dont la seule valeur ajoutée est de revendre le raritarium beaucoup plus cher à la bourse de Diraeko …

– Pouvez-vous me donner des chiffres plus précis ?

– Oui. En moyenne nous vendons pour 3000 Monaeko le baril, transport vers Diraeko compris. 

Luizette fit un rapide calcul dans sa tête, convertissant le Monaeko, la monnaie locale, en crédit martien. Le prix de vente de ce raritarium était effectivement très peu élevé. D’après ses estimations, le baril pouvait facilement se revendre 9000 Monaeko sur le spacioport de Diraeko.

– Quel serait le prix idéal pour vous ? Sachant que nous pourrions directement venir chercher la marchandise à Telenium.

– Laissez-nous un instant de réflexion.

Les négociants se levèrent immédiatement et leur tournèrent le dos pour discuter à voix basse. Jadila croisa le regard de Luizette et cette dernière lui adressa un sourire encourageant. Elle sentait que l’animosité des Narjivosses baissait. Il suffisait simplement de comprendre leur besoin et d’y répondre. 

– Nous vous proposons un tarif de 6000 Monaeko par baril, reprit le négociant principal, toujours debout à l’extrémité de la table.

Luizette sentit Jadila prête à répliquer, mais heureusement, elle se ravisa. Luizette répondit calmement :

– Je comprends que ce soit un bon prix pour vous. Dans cette configuration ce ne serait pas intéressant pour nous de faire affaire avec vous car nous ne rentrerions pas dans nos marges. En plus du transport vers Mars, nous avons des coûts de personnels et de retraitement puisque nous transformons le raritarium en carburant. Pour nous, le tarif idéal serait 3500 Monaeko le baril. Ce qui est plus que votre tarif de vente actuel.

Un long silence suivit ses paroles. Luizette savait que le moment était critique. Elle pouvait voir le cerveau de ses interlocuteurs tourner à plein régime. Ils devaient réagir, mais comment ? Quelque soit leurs objections, Luizette avait une parade de prête. Finalement, le négociant central s’exprima :

– Nous sommes conscients de vos coûts mais le prix est trop faible pour nous.

– Est-ce qu’une durée d’engagement longue de la part d’Himalaya pourrait faire changer votre point de vue ?

Le négociant réfléchit un instant :

– Le plus important pour nous est d’avoir une régularité. Si Himalaya peut s’engager sur du long terme, nous pourrions trouver un accord. 

Évidemment que l’accord allait être trouvé ! Luizette savait que ce type d’exploitation avait du raritarium à ne plus savoir quoi en faire mais peu d’acheteurs très fiables. 

– Dans ce cas, voici ce que je vous propose : nous augmentons le tarif à 4000 Monaeko le baril pour ce premier échange et Himalaya s’engagera à maintenir ce prix pour la suite. Si ce tarif vous convient, il ne fait aucun doute que vous deviendrez notre fournisseur principal et pourrez vendre la plupart de vos barils plus chers qu’à nos concurrents.

Les négociants se concertèrent un instant et acceptèrent les conditions de Luizette. 

Pendant que Jadila officialisait le contrat avec eux, Luizette s’approcha de la baie vitrée et contempla le paysage. L’immense plaine désertique qui s’étalait devant elle était remplie de sable gris et grossier. Au loin, quelques montagnes basses étaient visibles. Une longue journée de 40 heures se terminait et les derniers rayons de l’étoile du système s’étalaient sur le sable. C’était le seul moment où cette planète pouvait être belle pensa Luizette.

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