La renaissance
Elle se réveilla en sursaut et ouvrit les yeux. Le noir qui l’entourait était presque complet. Seul un fin rayon de lumière filtrait à travers une petite ouverture à l’autre bout de la pièce. Quelques tâtonnements avec les mains lui firent prendre conscience qu’elle se trouvait dans un lit moelleux. C’était étrange. Qu’est-ce qu’elle faisait là ?
Elle se leva lentement, laissant glisser les couvertures sur le sol. Une légère clarté envahit la chambre lorsqu’elle poussa timidement le volet. Dehors, on pouvait apercevoir un petit étang entouré de quelques arbres biscornus et sans feuilles. De plus en plus perplexe, elle se retourna pour parcourir des yeux la pièce à présent éclairée. Le lit, central, était bordé par deux étagères débordantes de grimoires. Sur la droite, une commode à moitié ouverte laissait entrevoir quelques vêtements noirs entassés à la va-vite. À gauche, un grand miroir lui faisait face, reflétant une petite fille à la figure ovale et aux longs cheveux ondulés. Elle ne devait pas avoir plus de 5 ans. À la vue de ce visage innocent, une étrange sensation lui parcouru le corps, lui donnant l’impression de partir en arrière. Ses pensées se firent moins complexes, plus enfantines. Tous ses questionnements disparurent et laissèrent place à trois envies : manger, quitter cet endroit et retrouver son papa.
Manger
Heureusement, la porte qui barrait l’entrée de sa chambre n’était pas verrouillée. La petite fille poussa doucement le lourd panneau de bois, qui s’ouvrit avec un grincement sinistre. Un escalier se trouvait au fond du couloir obscur et bordé de tapisseries miteuses. Elle s’y engagea prudemment. Pour trouver à manger, il fallait descendre à la cuisine. Quelques pas timides l’amenèrent devant les premières marches. Malgré les battements rapides de son petit cœur, elle n’avait pas peur, juste très faim. La descente de l’escalier fut difficile. Les marches étaient irrégulières et trop hautes pour ses courtes jambes. Elle déboucha bientôt dans un grand hall d’entrée. Quelques chauves-souris, perturbées par son arrivée, s’envolèrent à tire-d’ailes par une fenêtre brisée. La cuisine était visible, juste de l’autre côté du hall. La petite fille, qui allait s’y précipiter, remarqua alors un énorme molosse qui dormait sur le tapis de l’entrée.
La bête bavait copieusement et émettait des ronflements sonores. Elle ne broncha même pas quand la petite fille la contourna à pas de loup. Le soleil baignait la grande cuisine, mettant en valeur la saleté des lieux. La petite fille commença par pousser de tout son poids sur la porte, qui se ferma avec un claquement sec. Il n’y eut aucune réaction de la part du chien, toujours plongé dans un profond sommeil. L’étape suivante fut plus délicate. Elle traîna laborieusement un tabouret et grimpa avec précaution dessus. Se hissant avec ses petits bras, elle parvint à monter sur le plan de travail.
Ce dernier était maculé de tâches sombres et de restes de nourritures. Qu’allait-elle bien pouvoir manger ? Tournant la tête dans tous les sens, elle aperçut un bocal rempli de grosses araignées vivantes. Loin d’être effrayée, elle s’approcha gloutonnement. Ça pouvait faire l’affaire, le tout était de les cuire un peu. Un plan astucieux se forma rapidement dans son esprit. Elle commença par saisir un grand pic à brochette. Puis elle ouvrit le bocal d’un geste précis et piqua dans la masse des araignées. Le résultat fut satisfaisant : une douzaine d’insectes ressortirent empalés sur le pic. La petite fille descendit ensuite avec précaution du plan de travail et s’approcha du feu qui ronflait doucement dans le poêle. Elle plongea son pic au-dessus des flammes. Les araignées se recroquevillent sous la chaleur et furent bientôt réduites à l’état d’amuses-gueules croustillants.
Satisfaite, la petite fille retira le pic du feu et commença à déguster son petit déjeuner. Elle mangea les pattes des araignées une à une pour faire durer le plaisir. C’était vraiment craquant en bouche. Alors qu’elle s’empifrait du dernier insecte, un terrible hurlement retentit dans la maison. Elle sursauta et avala l’araignée de travers. C’était la méchante sorcière au nez crochu qui l’avait enlevée la nuit dernière ! Elle s’en souvenait maintenant !
Quitter la maison
Il fallait fuir, et vite. Elle courut jusqu’à la porte de la cuisine et colla son oreille contre le panneau de bois. Un grognement sourd lui parvint depuis l’autre côté. Un choc ébranla la porte. Le gros chien était réveillé et essayait d’entrer ! Sans perdre une seconde, elle grimpa de nouveau sur le plan de travail. À l’extrémité, près de l’entrée, se trouvait un gros bocal en verre rempli d’une plante visqueuse. Un nouveau choc ouvrit la porte à la volée. Le chien dégoulinant de bave apparu. Son regard croisa celui de la petite fille. Les yeux féroces de la bête s’élargirent, hésitants. C’était le moment d’agir. La petite fille fit basculer le lourd bocal qui éclata sur la tête du chien. La plante qu’il contenait s’anima soudain et agrippa fermement le museau de l’animal. Ce dernier bâtit aussitôt en retraite vers le hall, gémissant de douleur.
La petite fille descendit de son perchoir et avança prudemment jusqu’à l’entrée. La porte du jardin était ouverte mais le chien n’était plus visible. Il avait dû se réfugier dehors dans sa niche. Après avoir traversé le hall, un autre challenge se présenta à elle : la porte d’entrée. Trop petite pour atteindre la poignée, elle dû traîner de nouveau un tabouret depuis la cuisine. Grimpée dessus en équilibre, elle poussa de toutes ses forces, sans succès. Le passage était verrouillé et il n’y avait pas de clé dans la serrure. Où pouvait-on bien ranger les clés d’un tel endroit ? Elle jeta un regard panoramique, cherchant l’inspiration. Un étroit passage, de l’autre côté du hall, se perdait dans l’obscurité. La cave ! Elle était certaine que la clé se trouvait là.
Les marches menant à la cave étaient bien moins hautes que celles de l’autre escalier. La petite fille n’eut aucun mal à descendre. L’obscurité était pesante tout en bas. À son grand étonnement, elle parvenait cependant à distinguer une grande pièce voutée. Sur la droite, s’étalaient d’immenses bocaux, remplis pour la plupart d’une substance rougeâtre comme du sang. Elle en distingua également deux dans lesquels s’entassaient des créatures mortes ressemblant à des insectes séchés. Sur la gauche, gisait des ossements, restes des victimes de la sorcière. Certains étaient encore luisants de chair en putréfaction. La petite fille eut un haut de coeur mais se résolut à avancer. La clé se trouvait tout au bout, elle le savait.
Le fond de la pièce n’était pas encore visible que deux points jaunes s’allumèrent dans le noir. Les yeux dévisagèrent un instant l’intrue, puis clignèrent paresseusement. Un énorme matou sorti des ténèbres et vint se frotter contre la petite fille. Elle tendit gentiment la main. Le chat ronronna de plaisir lorsqu’elle le gratta derrière les oreilles. Décidément, tout n’était pas si hostile que cela dans cette maison.
Une forme sombre se découpait un peu plus loin devant le mur du fond. En s’approchant, elle distingua un cercueil en pierre. La fameuse clé de la porte d’entrée se trouvait juste au-dessus, accrochée à un anneau en métal. Pour l’attraper, elle n’eut pas d’autre choix que de grimper sur le caveau. Elle crut entendre quelque chose bouger et se retourna précipitamment. La clé lui échappa des mains et tomba sur le couvercle de la tombe. Le bruit métallique résonna avec force dans l’espace clos. En se penchant pour ramasser la clé, elle distingua que le cercueil n’était pas totalement fermé. Un petit espace s’ouvrait sur les profondeurs de la tombe. Quatres horribles doigts noircis surgirent soudain par le trou. Un hurlement déchira le silence. La petite fille tomba à la renverse derrière le cercueil. Les lourdes toiles d’araignées amortirent sa chute. Tatonnant dans le noir, elle se remit rapidement sur ses pieds. Un frottement strident se fit entendre. La sorcière était en train de sortir du cercueil de pierre !
Sans attendre une seconde, la petite fille fonça vers l’escalier, sa minuscule main serrée autour de la clé. Arrivée à mi-chemin, un grand fracas retentit derrière elle, suivi d’un nouveau hurlement. La sorcière était sur ses talons ! Elle pouvait à présent entendre le bruit de ses pieds nus marteler frénétiquement le sol. La petite fille se retourna par instinct et vit la forme décharnée de la sorcière qui allait la rattraper. Comment pouvait-elle la stopper ? Son regard se posa sur le grand bocal le plus proche, rempli de sang. Elle se concentra un instant. Comme par magie, le bocal glissa et explosa au moment où la sorcière passait à côté. La petite fille gravit l’escalier aussi vite que le permettait ses courtes jambes. Qu’est-ce qui venait de se passer ?
Arrivée en haut, elle traversa le hall en courant et se précipita sur le tabouret. La clé s’enfonça sans problème dans la serrure mais il lui fallu cinq longs tours pour déverrouiller la porte. À tout instant, sa ravisseuse, poisseuse de sang, pouvait surgir de l’escalier de la cave. Enfin, elle poussa la porte et pu sortir. Dehors, quelques marches et une allée boisée menaient à la sortie. Le vieux portail biscornu en fer noir était entre-ouvert. Juste avant de se glisser par l’ouverture, elle jeta un œil en arrière. La sorcière la suivait à distance, boitant fortement de la jambe droite. Ses cheveux gris et fins pendaient tristement sur son crâne. Un flot continu de sang coulait de sa robe sur le sol, laissant une traînée écarlate derrière elle. Ses yeux jaunes, profondément enfoncés dans leurs orbites, dévisageaient sa proie. Terrifiée à l’idée de se faire rattraper, la petite fille fila à travers le portail.
Retrouver son papa
Il lui fallut un moment pour se repérer. Elle n’avait que cinq ans après tout. Comment était-elle censée trouver son chemin dans une telle forêt ? Elle erra un moment parmi les arbres, sans trop savoir dans quelle direction se diriger. Grâce à la vue dégagée d’une clairière, elle distingua de la fumée qui montait à l’horizon. C’était par là qu’il fallait aller. Ses petits pieds la faisaient souffrir à mesure qu’elle avançait à travers les bois. Sa panique se dissipait à présent que la maison de l’horrible sorcière était depuis longtemps hors de vue. Et pourtant, elle avait l’étrange impression d’oublier quelque chose d’important. Plus elle avançait et plus ce sentiment devenait puissant. Il ne fallait pas qu’elle oublie que …
Des voix d’hommes retentirent. Elle se cacha derrière un arbre et écouta attentivement. L’une des voix qui avançaient dans sa direction était parfaitement reconnaissable. C’était bien celle de son papa ! Elle bondit de sa cachette :
– Papa !
N’en croyant pas ses yeux, l’homme accueilli sa fille à bras ouvert. Tous les autres villageois qui l’entouraient poussèrent des soupirs de soulagement.
– Mais … comment … tu t’es échappée ?
La petite fille confirma d’un signe de tête :
– Oui, mais la sorcière … elle m’a suivi.
Elle pointa du doigt les arbres derrière elle. La sorcière venait d’apparaître et semblait prise d’une crise de rage. Elle s’arrachait les cheveux et émettait de faibles cris pitoyables. Les villageois poussèrent des jurons et échangèrent des regards :
– C’est l’occasion ou jamais.
– Ouais … réglons lui son compte !
– Allez !
L’un des villageois visa la sorcière avec son fusil et lui tira dans la jambe. La détonation couvrit le hurlement plaintif de la créature. Aussitôt, les hommes se regroupèrent autour d’elle et la frappèrent à coups de hache. La petite fille, que son père avait tournée de l’autre côté, entendait simplement les cris déchirants et les grognements d’approbation des hommes.
Ce ne fut que bien plus tard ce soir-là, après que les restes de la sorcière furent brûlés, que la petite fille se rappela ce qu’elle avait oublié. Elle éclata de rire dans son petit lit. C’était si risible. Quelle bande d’imbéciles ! La sorcière, c’était elle. La nuit dernière, elle avait performé un rituel pour échanger son esprit avec celui de la fillette de ses pitoyables villageois. Quel exploit ! Non seulement ces idiots avaient massacré une pauvre innocente, mais en plus, elle venait de retrouver un tout nouveau corps pour les quelques prochaines décennies. Cette technique de transfert fonctionnait bien. Elle l’utiliserait de nouveau dans 60 ans. D’ici là, elle avait amplement le temps de venir hanter la vie de ses pauvres gens.
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