Au Four et au Moulin
Alain
Les gouttes de pluies s’écrasaient sur le sol et formaient des flaques boueuses, reflétant le moral d’Alain en ces temps de guerre. Les règles concernant les rations de nourritures s’étaient subitement durcies. Il avait eu du mal à trouver tout le nécessaire pour sa famille. Les bras chargés de sacs en carton, il pataugeait dans la rue, ses pensées fixées sur l’avenir. L’occupation n’était pas prête de s’arrêter. Les troupes ennemies étaient arrivées seulement deux mois plus tôt et le front avait bien progressé depuis. Le pays, affaibli, ne pouvait rivaliser avec la puissance de l’envahisseur. Pour la suite, Alain n’avait guère d’options. Sa vie était devenue une morne routine consistant à faire la queue pour obtenir des rations de nourriture. Il n’avait plus de travail pour s’occuper et le reste de son temps était consacré à attendre. Cette attente était pesante car totalement incertaine. Personne ne pouvait prédire l’avenir. Aucune information qui parvenait jusqu’à lui ne laissait présager la moindre amélioration dans un futur proche.
C’était ça le pire : l’incertitude. Il tourna au coin de la rue et s’engagea dans une allée pavée. Sur le côté, quelques soldats appuyés négligemment sur un char lui adressèrent des regards mauvais. Alain baissa la tête. Inutile de chercher des ennuis là où il pouvait les éviter. Après tout, sa famille et lui avaient globalement eu de la chance. Lors de la prise de la ville, de nombreux civils avaient péris sous les bombardements. Il prit une grande inspiration et leva les yeux vers le ciel, essayant de chasser les terribles images de corps hachés qui venaient souvent le hanter la nuit. La guerre n’était pas belle à voir.
Si seulement il avait su … Il aurait fuit et emporté Marie, sa femme et Josie, leur petite fille. C’était maintenant impossible. Tous avaient vu et revu les cadavres des fuyards pendus sur la place du centre ville. L’ennemi n’avait aucune pitié pour ceux qui tentaient de partir et se faisaient rattraper. Homme, femme ou enfant, tous finissaient sur l’échafaut. Et pourtant, Alain cherchait toujours une issue. Il devait forcément y en avoir une. La pluie s’arrêta subitement de tomber et une éclaircie apparut, laissant passer un fin rayon de soleil. Il n’avait pas encore perdu espoir et était prêt à tout pour sauver Marie et Josie.
Le Boulanger
Le gros homme joufflu installé derrière le comptoir éclata d’un rire jovial. Il remercia la pauvre dame qui venait de lui donner tout son argent pour une moitié de pain. Les prix avaient flambé depuis l’occupation et les habitants voulant consommer autre chose que des rations devaient racler leurs fonds de poche. Il n’aurait jamais cru penser cela un jour, mais la guerre était une sacrée opportunité. Jamais il ne s’était autant enrichi que depuis l’arrivée des soldats. On faisait la queue pendant des heures devant sa boulangerie pour acheter du pain hors de prix et on le remerciait pour cela ! Quel monde merveilleux.
Bien-sûr, tout n’était pas rose non plus. On avait une fois tenté de le menacer pour avoir du pain, mais le pauvre homme avait été arrêté et pendu par les gardes. Ainsi, il devait payer régulièrement les soldats pour être en sécurité. Et surtout, depuis le début de la guerre, son four tournait à plein régime pour supporter la demande. C’était donc un travail épuisant, mais tellement bien payé que le boulanger ne s’en plaignait pas. La guerre avait apporté la vraie méritocratie : travailler dur et gagner sa vie à la sueur de son front. Toutes ses pauvres personnes qui faisaient la queue devant sa boutique n’avaient qu’à trouver un moyen de se faire de l’argent. Voilà tout.
Il fit signe à la personne suivante de s’approcher. C’était un vieux monsieur appuyé sur une canne. Il demanda une miche de pain blanc. Le boulanger fit mine de réfléchir et lui annonça un prix en prenant le pain de l’étagère derrière lui. Le vieux protesta :
– C’est pratiquement le double du prix qu’a payé la personne juste avant moi …
Le boulanger s’immobilisa et le dévisagea un instant. Il avait l’argent, il le savait.
– Vous connaissez l’offre et la demande ? Voyez derrière vous cette foule qui attend son tour. Et voyez le nombre de pains qu’il reste. Vous pensez qu’il y en aura pour tout le monde ?
Le vieux monsieur s’apprêtait à répliquer faiblement lorsqu’il poursuivit dans un ricanement :
– Je ne fais qu’ajuster l’offre et la demande en fonction des quantités. Si ça ne vous va pas, partez. Quelqu’un d’autre me l’achètera.
Une jeune femme, un peu plus loin dans la file, ajouta :
– Ouais, dépêche le vieux. On attend déjà depuis des heures !
Le vieil homme soupira et tendit l’argent au boulanger.
– Merci bien. Vous voyez ? C’est facile !
L’homme attendit d’avoir son pain bien en main avant de répondre entre ses dents :
– Après la guerre vous savez, il y aura des comptes à rendre …
– Ouais ouais c’est ça. Au revoir.
Le vieil homme sortit du bâtiment et le boulanger fit signe à la personne suivante de s’avancer.
Nicolas
Pour une fois que sa mission ne consistait pas à collaborer, Nicolas se sentait mieux. En tant qu’agent de police, il avait été immédiatement mis à contribution de l’armée ennemie pour débusquer les traîtres et autres fuyards. Il ne préférait pas repenser à ce qu’il avait dû faire pendant les mois écoulés. Indirectement, des innocents étaient morts à cause de lui et son âme irait à coup sûr en enfer.
Alors, aujourd’hui qu’il avait une vraie affaire à résoudre, il prenait les choses à cœur. Un civil avait aperçu un corps flottant dans le fleuve. Repêcher et identifier la victime avait été rapide. C’était un jeune bourgeois du quartier. Au départ, la police avait cru à une noyade, qui aurait pu arriver par accident ou suicide. Mais, après examen approfondi du corps, les médecins avaient constaté une fracture à l’arrière du crâne, sans aucun doute dûe à un terrible choc. Le pauvre homme avait été tué et jeté ensuite dans le fleuve. Même si cette affaire était mineure, au vu du contexte actuel d’occupation, Nicolas avait pris l’initiative de la résoudre.
Il sortait justement de chez les parents de la victime. Le policier n’avait pas tiré grand chose du couple épleuré. Le jeune homme était parti deux jours plus tôt de la maison avec toutes ses affaires et n’était jamais rentré. Nicolas avait immédiatement pensé à une tentative de fuite avortée. Mais cela semblait improbable que les soldats noient le pauvre homme dans le fleuve au lieu de le pendre haut et court devant une foule terrifiée. De plus, son nom ne figurait pas dans le registre des fuyards. Non, il y avait autre chose de plus complexe dans cette affaire. Le quartier était habituellement calme et la seule vraie animation venait de la boulangerie qui faisait le coin de la rue. C’était l’un des seuls établissements ouverts et on pouvait encore y trouver du pain frais pratiquement tous les jours.
Selon les rapports de police, on avait rapporté des bruits étranges dans la nuit, deux jours plus tôt. Cela correspondait à la disparition du jeune homme, mais le témoin ayant masqué son identité, il était impossible de l’interroger pour en savoir plus. C’était malheureusement comme cela depuis le début de la guerre. Certains citoyens voulaient faire le bien mais avaient trop peur de s’attirer des ennuis pour se mettre en avant. Et Nicolas les comprenait parfaitement. Quelle terrible époque …
Il se dirigea vers la boulangerie dans l’espoir de glaner quelques informations utiles pour son enquête. La pluie avait recommencé à tomber à verse. Un petit vieillard marchait doucement dans la rue, tâtonnant avec sa canne sur le sol glissant. Nicolas lui prit le bras et l’aida à monter sur le trottoir, où le sol était plus propre. Il salua le vieil homme d’un signe de tête, qui bégayait des paroles incompréhensibles, et entra dans la boulangerie.
Alain
Ça n’avait pas été facile de la convaincre. Marie avait férocement argumenté qu’elles ne partiraient pas sans lui. Il admirait sa détermination mais, dans ce type de situation, il avait dû rester ferme. Cela lui avait pris plusieurs semaines pour trouver un réseau d’évasion sûr. De nombreux résistants proposaient une sortie en douce de la ville, mais peu étaient suffisamment fiables pour qu’il leur confit sa femme et sa fille. Son choix s’était porté sur un passeur dont aucun des “clients” n’avaient été retrouvé pendus. C’était la solution la plus sûre.
– Viens avec nous !
Marie, emmitouflée dans un gros manteau, lui jeta un regard plein d’espoir.
– Tu sais bien que je ne peux pas.
– On négociera avec le passeur pour le prix …
– On ne négocie pas avec ces gens-là.
– Mais …
– En plus il ne prend les gens qu’un par un. C’est plus simple pour les faire sortir.
– Nous sommes déjà deux.
Ils contemplèrent leur petite fille endormie, inconsciente de la séparation à venir.
– Je ne suis pas sûr qu’elle compte vraiment …
– S’il te plaît Alain. Je ne peux pas te laisser et …
– C’est la meilleure solution. Chaque instant que vous passez dans cette ville vous met en danger.
– Et si c’était pire au dehors ?
Ils avaient déjà eu cette conversation mille fois.
– Alors on aura eu le courage de tenter quelque chose. Attendre est le pire.
– Je …
– Ecoute Marie. N’en parlons plus. Ce qui est décidé est décidé. Aussi douloureux que ce soit c’est ce qui va se passer.
Elle le dévisagea sans répondre.
– Je vous rejoindrais dès que possible. Le passeur fait des sorties régulièrement et il ne nous manque pas tant d’argent que ça …
– Alors pourquoi ne pas …
– Attendre ? Parce que je ne veux pas ! Je vous veux en sécurité !
Derrière eux, le pendule sonna. C’était l’heure. Ils se dévisagèrent, pensant à la même chose. Est-ce la dernière fois qu’ils se voyaient ? Allaient-ils réussir à se retrouver ?
– Tes affaires sont déjà là bas, tu peux y …
Marie l’embrassa tendrement et ils se serrent l’un contre l’autre.
– Je t’aime.
Incapable de répondre. Il prit Josie, déposa un baiser sur son front et la tendit à sa mère. Puis ils se séparent.
Pendant 4 mois
Le temps, surtout du mauvais, filait vite sur la ville. Durant les 4 mois suivants, la guerre s’intensifia et l’occupation se durcit encore. Les rations de nourriture furent réduites et nombreux étaient ceux qui souffraient de la faim. L’arrogance des soldats avait laissé place à l’ennui. Ils voulaient rentrer chez eux et, frustrés, se défoulaient sur la population. Rares furent les familles épargnées par les drames, déchirements et meurtres. Un lourd climat de terreur régnait dans les rues.
Alain
La terreur n’était pas inconnue d’Alain. Après le départ de sa famille, ce sentiment ne l’avait pas quitté. Chaque jour, il passait devant la place des condamnés, priant pour ne pas y appercevoir les corps sans vies de sa femme et fille. Au fur et à mesure des semaines, sa peur était progressivement retombée. Elles avaient pu quitter la ville en passant entre les mailles du filet. Ce n’était pas le cas de beaucoup de pauvres malheureux et, chaque matin, de nouveaux cadavres venaient enrichir la macabre collection.
Mais toute cette horreur allait bientôt prendre fin. Alain y était parvenu : il avait réuni suffisamment d’argent pour payer de nouveau le passeur. Ça avait été plus long et difficile que prévu. Au départ, il avait trouvé un petit travail de déchargement de marchandises au niveau du canal. Son patron, pour une raison obscure, avait rapidement été arrêté et fusillé. Ne voulant pas subir le même sort, Alain s’était rabattu sur un boulot de réparation des chemins de fer. C’était difficile et potentiellement dangereux, car les lignes étaient souvent la cible de bombardements. Mais il avait survécu. Demain, il ne se présenterait pas au travail et serait déjà loin de cet enfer.
Sa fille avait dû grandir depuis les derniers mois. Il espérait qu’elle et sa femme n’avaient pas trop soufferts. Il ne cessait de repenser à ce qu’elle lui avait dit avant de partir : “Et si c’était pire dehors” ? Mais il était trop tard pour se poser ce type de question. D’une manière ou d’une autre, ils allaient se retrouver bientôt. C’était cet espoir unique qui avait permis chaque jour à Alain de se lever et d’affronter sa vie. Sans cela, il n’osait même pas imaginer ce qu’il serait devenu. Il avait eu faim, il avait eu froid, il s’était tué au travail et il était là, aujourd’hui prêt à retrouver celles qu’il aimait. Rien ne pouvait l’en empêcher.
La nuit vint et Alain attendit patiemment. À deux heures passées minuit, il prit l’enveloppe pleine d’argent et sortit silencieusement de chez lui. Ses bagages étaient déjà chez le passeur. Prenant garde à raser les murs, il avança rapidement dans la rue et se dirigea vers le canal. Par chance, il n’eut pas à esquiver le moindre garde. Quelques minutes plus tard, il était arrivé à destination. Il frappa le plus doucement possible à la porte. Celle-ci s’ouvrit aussitôt.
Le Boulanger
La porte s’ouvrit, dévoilant le jeune homme.
– Allez. Vite !
Le boulanger le fit entrer et referma doucement la porte derrière lui. Il payait suffisamment les gardes pour être tranquille, mais on ne savait jamais ce qui pouvait traîner dans les rues à cette heure-ci. Ils parcoururent un long couloir et se retrouvèrent dans l’arrière boutique de la boulangerie.
– L’argent ?
– Tenez.
Le jeune homme lui tendit une enveloppe. C’était bon, le compte y était. Il désigna un coin sombre de la pièce :
– Ce sont bien vos affaires ?
L’autre approuva d’un signe de tête.
– Alors allons-y.
Il commença à se diriger vers le couloir mais le jeune homme l’interrompit :
– Attendez … je dois vous demander quelque …
– Pas le temps pour ce genre de connerie. C’est dangereux ce qu’on fait là.
– Juste une minute. Vous avez fait passé ma femme et ma fille il y a quatre mois. Vous vous souvenez ?
Le boulanger se gratta le menton.
– J’ai fait passer des tas de gens. Non ça ne me dit rien.
– Je voudrais pouvoir les retrouver une fois dehors et …
– Mon gars … mon boulot c’est de faire passer de l’autre côté. Je vous libère. Ensuite, dieu seul sait comment se retrouver …
Sentant que le jeune homme allait insister, il ajouta :
– On a pas le temps, venez.
Il se mit en mouvement et traversa le couloir. Une porte entrouverte menait à une petite pièce sur la droite.
– Vous allez entrer ici et attendre.
Il poussa la porte et laissa l’autre s’approcher. Il n’y avait plus qu’à répéter son texte :
– Vous allez attendre une dizaine de minutes. Je vais charger vos bagages et vérifier que la voie est libre. Ensuite je viens vous chercher et vous quittez la ville. C’est clair ?
– Oui.
Sans plus de cérémonie, le boulanger referma la porte au nez du jeune homme et tira le verrou. Ce client n’avait pas été très difficile. C’était encore une évasion réussie pour lui et toujours un peu plus d’argent dans sa poche.
Nicolas
Posté au coin de la rue, Nicolas attendait dans la nuit noire. Quelques minutes plus tôt, le jeune homme qu’il suivait avait disparu à l’arrière de la boulangerie. À présent, il fallait patienter jusqu’à sa sortie.
Ces derniers mois, Nicolas avait poursuivi son enquête sur le corps retrouvé dans le fleuve. La victime fréquentait souvent la boulangerie et avait disparu dans les environs. Il n’y avait pas eu de nouveaux meurtres depuis, mais Nicolas avait constaté que de nombreux citadins du quartier se volatilisaient. Des habitués, parfois quotidiens, de la boulangerie cessaient de venir du jour au lendemain sans la moindre explication. Et on ne les revoyait jamais. Aucun habitant interrogé n’avait confirmé les disparitions. Personne ne semblait s’en inquiéter.
Il avait donc décidé de suivre quelqu’un pour découvrir la vérité. Le jeune homme qu’il venait de voir disparaître, Alain, ne fréquentait pas tant que cela la boulangerie. Mais Nicolas l’avait vu parler discrètement avec le boulanger à plusieurs reprises. Il y avait une explication logique et simple à tout cela. Un réseau d’évasionnistes pouvait être construit autour de la boulangerie. Cependant, aucun des disparus n’avait été pris par les gardes et pendus. Etait-il possible que ce réseau soit si efficace que tous les fuyards parvenaient à quitter la ville ? Ce serait un exploit hors du commun …
Dans tous les cas, Nicolas sentait qu’il y avait quelque chose de louche là-dessous. Il voulait découvrir quoi, quitte à abandonner son enquête ensuite. Il admirait le courage de ces gens prêts à tout pour survivre. Malgré son statut de policier, jamais il ne dénoncerait un réseau si efficace.
Une lumière s’alluma dans la boulangerie et, quelques instants après, une légère fumée commença à s’élever de la cheminée. Rien n’avait bougé dans le quartier depuis l’arrivée du jeune homme. Il consulta sa montre. Un quart d’heure seulement venait de passer. Le fuyard était donc encore dans la boulangerie. Nicolas patienta donc. Une heure passa, puis deux. Petit à petit, l’est s’éclaircit et l’horizon fut teinté d’un rouge rosé. La ville commençait à s’éveiller. Quelques patrouilles de soldats passèrent, des citoyens allaient et venaient d’un pas traînant. Finalement, la boulangerie ouvrit et une petite file de clients se forma instantanément.
Nicolas était confus. Il ne s’était rien passé d’anormal. Aucune exfiltration ou fuite au cœur de la nuit. C’était comme si le jeune homme, Alain, s’était volatilisé dans la boulangerie. Le soleil était à présent levé. Nicolas s’apprêtait à quitter les lieux mais une idée venait de germer dans son esprit. Il se glissa à l’arrière de la foule massée devant la boulangerie et attendit patiemment son tour.
Le Boulanger
Les semaines continuaient de filer et la guerre n’en finissait plus. Quelle aubaine ! Ses deux activités, la légale et l’illégale, lui rapportaient de plus en plus d’argent. Le prix du pain et des places pour quitter la ville ne cessaient de grimper. À présent, il accueillait un fuyard pratiquement tous les soirs.
Il ouvrit la porte et la nuit noire l’enveloppa. Devant lui, se tenait un homme grand et bien bâti, avec une moustache impeccable.
– Vite, entrez !
L’homme lui adressa un signe de tête et franchit le seuil. Ils suivirent le couloir et s’arrêtèrent dans l’arrière boutique.
– L’argent ?
L’homme fouilla un instant dans son manteau et sortit une enveloppe grossière. Le boulanger la saisit sans un mot et poursuivi :
– Ce sont bien vos affaires ?
L’homme lui avait déposé une petite valise quelques jours plus tôt.
– Oui c’est exact.
– Alors allons-y.
– Très bien, je vous suis.
Le boulanger amema l’homme dans la petite pièce et récita :
– Vous allez attendre une dizaine de minutes. Je vais charger vos bagages et vérifier que la voie est libre. Ensuite je viens vous chercher et vous quittez la ville. C’est clair ?
– Oui très clair merci.
Il referma la porte et tira le verrou, constant que l’homme, impassible, regardait sa montre. C’était le moment d’aller faire chauffer le four et de commencer à préparer le pain.
Nicolas
Premier constat, il était enfermé. Seconde observation, toutes les ouvertures étaient obstruées : des fenêtres barricadées à la petite cheminée murée. Ça ne présageait rien de bon. La pièce était vide, à l’exception d’un gros sac rempli de ce qui semblait être du charbon. Il s’approcha et en remua doucement le contenu avec le tisonnier. Un lourd nuage de poussière s’éleva et le prit au visage. Il tomba à genoux, aveugle, la respiration coupée. Un ultime effort de volonté lui permit de garder son calme et de se redresser. Seconde après seconde, il tenta de faire entrer de l’air dans ses poumons. Les battements de son cœur résonnaient dans tout son corps. Un battement, cinq … quinze. Et enfin, le déblocage se fit au niveau de sa gorge. Haletant, il s’appuya contre le mur, rassemblant ses pensées. Etait-ce du gaz qui s’échappait du sac ? Il avait entendu dire que certains gaz inodores avaient la propriété d’étrangler les gens. Quoi qu’il en soit, il ne pouvait pas rester ici.
D’un geste rapide, il sortit le pied-de-biche miniature qu’il avait caché sous son manteau. Le boulanger ne l’avait pas fouillé. Utilisant son outil comme levier, il n’eut aucun mal à ouvrir la porte. Cependant, l’opération ne fut pas silencieuse et le propriétaire des lieux pouvait être n’importe où. Nicolas se précipita dans le couloir et retourna dans la pièce où se trouvaient ses affaires. Sa valise était ouverte et son contenu étalé en désordre sur le sol. Sans bruit, le boulanger apparu soudain depuis le coin le plus sombre et se jeta sur lui. Les deux hommes roulèrent par terre, chacun essayant d’avoir une prise sur l’autre. La tête de Nicolas heurta un pied de table. Le boulanger en profita pour l’agripper à la gorge. Il fallait réagir vite. Nicolas se secoua dans tous les sens et l’autre lâcha prise avec une main. Ils roulèrent de nouveau au centre de la pièce. Nicolas saisit le boulanger et lui fit une clé de bras. L’homme gronda de douleur. Il était presque maîtrisé. Quelques secondes supplémentaires suffirent au policier pour le menotter. Hors d’haleine, il s’écria :
– C’est quoi votre putain de problème ?
Le boulanger ne répondit pas.
– Très bien, on va faire autrement.
Il lui asséna un coup à la tête avec le pied-de-biche et le boulanger s’effondra au sol, inconscient. Nicolas se détourna et quitta la pièce. Dans le couloir, il força la première porte sur la gauche. La salle, plongée dans l’obscurité, semblait être une sorte de cellier. Sur les étagères, s’alignaient toutes sortes d’objets, chaussures, chemises, bijoux et même des armes. Tout au fond, un coffre-fort résista à son pied-de-biche. Mais il était inutile de l’ouvrir pour savoir qu’il contenait une petite fortune. Ecoeuré, Nicolas retourna dans le couloir et poussa cette fois la porte de la salle des fours. L’endroit était noir de suie et la seule lueur provenait de l’âtre principal. Il s’attarda quelques instants sur les sacs de farine et jeta un regard dans les flammes. Le spectacle le cloua sur place. Noircis par le feu, d’innombrables restes humains s’entassaient dans le fond. Tout n’était pas identifiable mais on pouvait aisément reconnaître deux crânes et une large cage thoracique. Il resta figé un moment, les yeux fixés sur la vision macabre de tous ces malheureux qui avaient fait confiance au boulanger. L’affaire était close, mais Nicolas sentait que des années seraient nécessaires pour lui permettre de digérer cette démonstration excessive de l’horrible nature humaine.
Fin de partie
“Et la nature de vos crimes, faisant honte à l’humanité toute entière, vous condamne à mort”.
Telle fut la conclusion prononcée par le juge, quelques jours plus tard lors du procès. Le boulanger fut pendu haut et court le lendemain sur la place publique. La foule, silencieuse, reçue les dernière paroles du tueur en série :
“Je n’ai jamais rien fait de pire que la guerre. J’ai aidé tous ces gens à trouver la paix. Ils voulaient quitter cette horreur, je n’ai fait que respecter leur souhait”.
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