Plus que Deux Semaine

Je ne sais pas combien de temps nous allons pouvoir tenir. Si je devais donner une estimation, je dirais deux semaines, tout au plus … 

Ils ont fondu sur notre petite ville tranquille comme un rapace avide de dépecer sa proie. Mais c’était prévisible : la ligne de front se rapprochait depuis des semaines et rien n’y personne ne leur résistait. Je me souviens parfaitement du discours rassurant du maire, il y a de cela un mois. Bêtement, je l’avais cru et, alors que d’autres fuyaient pour leur vie, j’avais convaincu ma femme de rester et de faire quelques réserves “juste au cas où”. Et c’est ce que nous avons fait. Caché sous le parquet de notre salon, se trouve notre stock de nourriture et d’eau. De quoi faire face quelques jours ou quelques semaines, je ne préfère pas le savoir.

Dès leur arrivée en ville, les soldats ont fait le tour des habitations. Sortant les malheureux de chez eux, pillant ce qui avait de la valeur et traînant avec eux quelques jeunes femmes pour leurs plaisirs nocturnes. J’entendis parfaitement les cris et les lamentations de nos voisins, lorsqu’ils furent jetés dehors à coup de pieds, sous la menace des armes. Trois jours sont passés depuis et je ne les ai plus entendu. 

Quant à nous, nous avons eu de la chance. Les soldats visitèrent notre appartement et prirent quelques objets. Rien de bien important. Avec ma femme, nous nous sommes cachés sur le toit. Aucun homme en uniforme n’a eu l’idée de nous chercher là-haut. J’avais bien deviné : ils s’attendaient à trouver une ville déserte et ne faisaient pas d’efforts pour débusquer les civils. Après leur départ, nous avons réintégré nos quartiers. Depuis, nous vivons dans l’attente et la peur. 

L’attente, car rien ne semble évoluer. La ville est très calme et il ne se passe rien. Parfois, on entend le grondement d’un blindé qui passe dans la rue d’à côté, mais c’est tout. Je ne sais pas si l’armée ennemie a continué de progresser vers le front ou si elle s’est installée dans une autre partie de la ville. Impossible de le savoir sans sortir. J’ai eu l’idée de ramper jusqu’au bord du toit pour observer les alentours mais, selon ma femme, c’est bien trop risqué.

Nous avons peur. Nous sommes seuls, au milieu d’une ville que nous connaissions et qui est à présent pleine de dangers. Nous aurions dû fuir. Chaque jour qui passe est une lente et morne routine. Chaque geste que nous faisons est calculé et mesuré. Le moindre bruit, la moindre lumière, la moindre erreur pourrait nous trahir. Parfois, je me sens lâche. Lâche de ne pas avoir affronté l’ennemi, même en sachant ce qui m’attendait. Et lâche de ne pas avoir eu le courage de fuir quand j’en avais la possibilité. Il y a des jours où j’ai envie de descendre dans la rue et de me rendre, juste pour qu’il se passe quelque chose. Mais je ne le fait pas. J’ai trop peur de ce qui m’arriverai ensuite. Je suis un lâche. 

Pendant les premières heures, nous avions espoir d’une libération rapide. Mais plus le temps passe et plus nous doutons. La guerre n’est pas une chose aisée. Qui sait combien de semaines peuvent s’écouler avant le retour à la liberté ? Je ne peux pas le dire. Nous sommes dans le silence et dans le noir. Jour après jour.

En parlant du noir, cette journée touche à sa fin. À présent, mon seul plaisir est de contempler le lever et coucher du soleil. Ce spectacle est tellement magnifique. Il y a bien des choses dont j’aurais aimé me rendre compte plus tôt … Même anxieuse et tourmentée, je trouve ma femme plus belle et digne. Pris dans le quotidien, j’avais oublié pourquoi je l’aimais. Pourquoi faut-il une guerre pour m’en rappeler ? 

Il fait noir maintenant et je ne peux presque plus écrire. Allumer une bougie serait du suicide. Alors voici mes dernières lignes : Je ne sais pas combien de temps nous allons tenir. Si nous sommes encore là dans deux semaines, nous devrons sortir pour ne pas mourir de faim et de soif. Arrivera alors ce qui arrivera. Je n’ai pas choisi de me retrouver au milieu de cette guerre mais, je suis presque heureux que la vie m’ait permis de vivre ces instants, libérés d’une vie bien réglée. Ces derniers jours et dans les jours à venir, je vis l’instant présent et comprend la valeur de mon existence. J’aime vivre et je ne m’en rends compte que trop tard. Soyez plus clairvoyant que moi.

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